Je suis prête

Jeudi soir. Après quatre jours à être esclave de mes émotions et mes craintes, j’ai réussi à passer une étape. Deux jours de présentation client, deux jours d’ascenseur émotionnel, et notre présentation était une réussite. Extatique, je n’attendais plus qu’une seule chose ; d’effectuer la demi-heure de voyage et de rentrer chez moi, et peut-être prendre un verre avec les collègues, mes partenaires dans cette galère, et qui m’ont accompagné à chaque instant.

Ce ne fut pas le cas. Les détails sont encore flous, et on me dit que ça va revenir petit à petit dans les jours à venir. Je me souviens de quelques détails. J’étais à l’arrière. On parlait terrasse de café. On parlait des heures à rallonge du projet. On taquinait notre conducteur pour avoir une chanson de Britney Spears sur sa playlist. Et ensuite, un pompier par-dessus moi, en train de taper sur la joue pour me garder éveillée. Il me posait des questions. Comment je m’appelle ? D’où venais-je ? Quel âge j’avais ? Est-ce que je prends des médicaments ? Un masque posé sur mon visage sifflait doucement. Je ne pouvais pas bouger, et je sentais une larme couler sur ma joue. Je ne me souviens pas si j’ai pu répondre à ses questions.

Ensuite, quelqu’un d’autre. Une dame. Habillée en blanc. On n’était plus dehors, mais dans une salle médicalisée. Je n’ai pas demandé où j’étais, je le savais, mais je n’avais pas le souvenir d’avoir posée la question, ou d’avoir appris de moi-même. C’était normal, mais tout ce qui s’est passé avant, c’était un blanc.

Voulez-vous prévenir quelqu’un ? Oui… mais qui ? J’ignore l’heure. J’ignore exactement où je suis. J’ai besoin de quelqu’un. J’ai BESOIN de quelqu’un. On me donne mon téléphone. Le premier numéro ne répond pas. Le deuxième me dit qu’elle est désolée, mais elle peut envoyer un Uber pour venir me chercher et me ramener chez moi. Je n’ai personne d’autre. Il n’y a personne qui puisse me sortir de là. L’infirmière me sourit et me dit de me détendre, ils vont prendre soin de moi. Je panique. Elle me rassure. Un peu de temps après, mon téléphone sonne. De l’autre côté de l’écran, c’est quelqu’un que j’ai rencontrée sur Reddit, et on a pris un repas ensemble. Je ne l’ai vu physiquement qu’une seule fois. C’est l’infirmière qui répond, je suis en train de chercher de l’air. Je frôle l’hyperventilation. C’est d’accord, il arrive.

Cet homme, que je n’ai rencontrée qu’une seule fois, a tout arrêté pour moi. Je ne serai pas seule ce soir, il me surveillera. Je sors des urgence deux heures plus tard avec un oxymètre et une bouteille d’oxygène, “au cas où”. Il me ramène chez lui, il est gentil, attentionné. Il me présente ses enfants. Il est tard, il les expédie au lit avec un bisou, et un “je t’aime”. J’ai envie de pleurer.

Il m’offre son lit, et me dit qu’il va dormir dans son bureau. En cas de besoin, je n’ai qu’à faire du bruit, et il arrivera en courant. Il me propose de prendre un bain. Pendant que je me détends, ce satané bracelet à la main, il lave et sèche mes vêtements. Il fait tout ceci dans la plus grande innocence ; il n’a jamais cherché à rentrer, il n’a jamais cherché à me voir, et quand aux vêtements, on n’a jamais parlé. J’ai retrouvé le tout, soigneusement pliée, le lendemain matin.

Le lendemain, il prend sa journée pour pouvoir prendre soin de moi. Il n’a rien demandé en retour, et vu son visage, il n’attend rien. C’est normal pour lui, et je n’en suis pas encore habituée. Il me ramène à l’hôpital pour pouvoir refaire des analyses. J’ai une radio des poumons, tout va bien. Pas de douleur à la nuque, les mouvements semblent normaux. Le test neurologique ne montre aucun signe d’inquiétude. Je rends la bouteille d’oxygène, et je suis libre, je dois juste me reposer. Il me ramène à nouveau chez lui, en passant par chez moi pour nourrir mon chat, et prendre quelques affaires. Il m’accueille à nouveau, m’invite à partager un plat, et nous discutons.

J’ai demandé à un ami sur Reddit son avis. De ses mots coulent sagesse et bienveillance. Je craignais faire une bêtise. Je craignais une attirance sexuelle pour le papa, alimentant à nouveau mes « daddy issues ». Peut-être que oui, peut-être que non.

J’ai senti sa douleur, sa solitude. Un grand homme, un côté ours, doux comme un agneau. Bienveillant. Férocement intelligent. Passionné. En somme, un deuxième Alex. Peut-être même un troisième ?

Je l’ai embrassé. Il a répondu. Il n’a pas fallu longtemps qu’on soit nus sur son canapé, les vêtements éparpillés à travers la pièce. Une partie de moi le voulait absolument, mais une autre partie avait peur. Peur de faire une bêtise, et me retrouver à pleurer pendant des jours à nouveau. Peur de briser cet homme qui n’a témoigné que bienveillance et gentillesse à mon égard.

Au final, non. J’ai eu droit à mon graal ; des câlins, bienveillance, et une compréhension. Des heures de discussion. De la tendresse.

Dans ses bras, et dans ses draps, je revois ma vie. Je suis bien, là. J’ai renouée avec ma sexualité. J’ai renouée avec ma vie. Je me sentais bien avant, je me sentais très bien pendant, et je me sens extrêmement bien après. Je regarde cet homme. Il n’a rien demandé, tout vient de moi. Je me suis fait mal il y a quelques jours avec un coup d’un soir, mais ici ce n’est pas pareil. Il y a eu des sentiments des deux côtés. Dans ses bras, je suis bien, et je me mets à réfléchir.

Il a sa famille. Sa fille rouquine qui me parle de nos cheveux, et qui parle tellement, avec tellement d’excitation, que j’ai du mal à suivre. Son fils qui tente de me convertir à Minecraft. Et leur père, qui les prend dans les bras, leur chuchote des je t’aime, et des encouragements. Son fils lui montre un dessin. Sa fille lui montre ses résultats de son devoir. Il les serre dans les bras, et il dit qu’il est fier d’eux. Intérieurement, je pleure. Voilà ce que je voulais. Voilà ce dont j’avais besoin dans ma vie. Cependant, je ne l’aurais pas.

Nous resterons amis, les confidences feront partie de notre vie, la sexualité aussi peut-être, pendant un peu de temps, mais je dois me rendre à l’évidence que ce n’est pas ce que je cherche, et pas ce dont j’ai besoin à long terme.

Cette attention de père de famille me manque, cruellement, mais je dois me rendre à l’évidence, je ne l’aurais jamais. A moi désormais de faire avec. Je vois deux choix ; numéro un, je pense à cette manque chaque minute de ma vie, me demandant à quoi ma ressemblerait si j’avais eu des parents qui m’aimaient. Ou alors numéro deux, me lever, et me battre. Si je ne peux pas recevoir cet amour, je le donnerai.

Je n’ai pas de place dans sa vie amoureuse, et ses enfants ne m’appelleront jamais « Maman ». Ce n’est pas non plus ce que je veux. Je ne veux plus me greffer sur une vie, mais en construire une.

Ces deux derniers mois ont été assez intenses. Je me suis créé un compte Reddit au nom de Kami. A l’origine, le but était de me faire connaitre en tant qu’auteur. Pour se faire, il faut parler, il faut s’exprimer, et il faut échanger. La plupart des interactions étaient sans valeur, quelques-uns étaient déprimants, mais comme la nuit étoilée, la noirceur est parsemée de points brillants, des étoiles au loin qui peuvent nous guider, et j’en ai rencontrée quelques-uns. Il y a des trous noirs aussi qui aspirent toute l’énergie autour, mais j’ai appris à naviguer autour.

J’ai appris à laisser des gens s’approcher. Si je le fais doucement, si je prends mon temps, je peux les écarter avant qu’ils ne me fassent mal. J’ai désormais envie de passer à autre chose. Je me suis ouverte à des émotions sur Internet, mais je ne pensais pas que ça pouvait m’atteindre autant.

Mon père, mon premier amour, et jusqu’ici le centre de ma vie, c’était Alex. Je ne regrette rien avec Alex. L’amour qu’il m’a donné, le temps partagé, et ses leçons sur la vie. Cela va bien au-delà de la sexualité. Il avait autre chose à m’enseigner, mais je n’étais pas prête à écouter, ou alors je n’étais pas prête. La leçon le plus important, je ne l’avais pas compris jusqu’à aujourd’hui, c’est que je suis moi. Que c’est ma vie, mes choix, mes envies, et ma façon de faire. Je m’appartiens. J’ai toujours clairement défini une ligne entre ma vie sexuelle et ma vie personnelle. Ceci appartient à ma sexualité, et ceci m’appartient à ma vie.

J’étais soumise, sexuellement, avec Alex. C’est ma façon, mes envies, et c’est tout. Désormais, je me rends compte qu’en étant soumise sexuellement, dans ma vie, j’avais une position non pas de faiblesse, ni de force, mais d’égalité. J’étais libre à n’importe quel moment de dire non, et cet homme, respectueux, n’aurait jamais cherché à aller contre ma volonté. Il m’a fallu deux ans pour comprendre.

Je suis <nom effacé>, je suis Kami Daviau. Les deux sont en moi, et je laisse les gens voir l’une ou l’autre, parfois même les deux. C’est qui je suis, c’est ce que je suis. Et je le sais désormais.

Je me relève, je suis quelqu’un d’autre. Fini le syndrome fée clochette où tout ce qui m’arrive est forcément la faute de quelqu’un d’autre. Le passé est le passé, mais le futur m’appartient. Fini la fille timide qui a peur de tout. Fini celle qui se croit victime. Je ne suis pas une gamine de 24 ans, je suis une jeune qui a toute sa vie devant moi. J’irai de l’avant. Je me prendrai des claques au fur et à mesure, et je sais que je me retrouverai par terre, mais je saurais me relever. Si je tombe, je tombe, mais je tâcherai de tomber de l’avant, et pas en arrière. Je refuse de vivre dans la peur. Je refuse de me conformer à l’image que je me suis faite.

J’ai eu un accident. Je me croyais punie par la vie, j’étais trop heureuse, et voilà qu’on me le rappelle. En fait non, c’est juste le hasard, et ça m’a aidée à me rendre compte de qui je suis.

Selon Confucius : On a deux vies, et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une. Je suis prête à passer à autre chose. Je suis prête.

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